Travailler de nuit (Travailler le 5e quart)

LB Culture

Texte par Claire Milbrath
Illustration by Rebecca Storm

Y’a-t-il plus gratifiant que de se faire plein d’argent en vendant des créations que l’on a imaginées? Ou de faire ses propres horaires, travailler à ses conditions et voyager partout dans le monde car les gens s’arrachent vos œuvres et votre présence? Cet idéal - les avantages de la célébrité, associés (on l’espère) à la pulsion créative - est peut-être ce qui attire en premier lieu les jeunes vers la vie d’artiste. C’est ce même idéal qui les fait avancer dans des périodes parfois très précaires. Car la vie d’artiste n’est jamais aussi facile ni aussi luxueuse qu’on veut bien se l’imaginer. Quand on ne gagne rien, être son propre patron n’a plus vraiment d’importance. Et on ne peut pas continuer comme ça, à voler des tubes de peinture trop chers C’est ainsi que les jeunes créatifs de ce monde - ceux qui n’ont eu la chance de décrocher un stage payé ou de vivre avec la carte de crédit de papounet doivent se résigner à prendre un job alimentaire.




Le job alimentaire, c’est ce métier secondaire que vous faites en parallèle de votre travail de création et qui vous rapporte souvent beaucoup plus. C’est le métier dont vous ne parlez pas quand, lors d’une soirée, quelqu’un vous demande « Et toi, tu fais quoi dans la vie? ». Si vous lui répondez que vous êtes rappeur, votre job se résume plutôt à faire mousser du lait 1% sans lactose dans un café, ou à vendre des « objets vintage en bon état » à des étudiants fauchés ou des ménagères adeptes de vide-greniers. Et c’est ça qui vous permet de vivre. Le meilleur job alimentaire est celui qui offre des horaires flexibles, la possibilité de se libérer de temps en temps pour une nuit ou une fin de semaine et, si vous êtes chanceux, des pourboires. C’est aussi un job qui permet d’utiliser son cerveau de façon inspirante ou provocante, façonnant ainsi ce qui vous tient vraiment à cœur : votre création. Le job alimentaire constitue en réalité un gilet de sauvetage, c’est le salaire qui entretient votre passion.


Appelons ce travail créatif « travail de nuit » - même si vous le faites en journée. C’est ce à quoi vous vous adonnez quand que les autres ont fini leur 9 à 5 et sont en train de relaxer ou de préparer leurs lunchs pour la semaine. C’est votre plus grande passion, celle qui vous donne un contrôle artistique absolu, et pour laquelle vous n’êtes pas (encore) bien payé. Ce travail de nuit, c’est aussi de savoir ce que vous valez et de faire un suivi quand un client « oublie » de vous payer car c’est souvent comme ça que ça se passe. Parfois on vous dira « Ne lâche pas ton job alimentaire! », impliquant par-là que vous n’avez pas l’air de vous en sortir avec votre travail de nuit. Mais rappelez-vous de ce conseil, car il est sage. Rappelez-vous que le travail de jour entretient le travail de nuit, et que c’est ainsi que vous arriverez à garder la tête hors de l’eau. La réussite, même quand elle paraît lointaine, en vaut la peine.

Il est parfois difficile de garder l’équilibre entre les deux. Vous pouvez bien travailler toute la journée et créer toute la nuit, ça ne servira à rien si vous ne gérez pas bien vos ressources. Il suffit en effet d’un lendemain de veille pour débalancer cette routine bien huilée... Votre éthique de travail doit être rigoureuse mais pas impitoyable. Il faut rester critique envers soi-même, sans pour autant se dévaloriser. Et n’oubliez pas de célébrer vos petites victoires, qu’elles soient de jour ou de nuit. Plus vous serez efficace dans votre job alimentaire, plus vous pourrez donner à votre créativité.